Le tabac est la substance la plus utilisée dans la population souffrant de troubles mentaux. L’abus de substances psychoactives peut provoquer des troubles du comportement, des troubles cognitifs, des lésions cérébrales qui peuvent persister même après le sevrage.
Il convient donc de s’intéresser à cette population spécifique en étudiant les liens étroits tissés avec le tabac mais surtout les outils de sevrage disponibles et mesurer leur efficacité.
Les comorbités psychiatriques
Il est souvent difficile de distinguer les troubles psychiatriques préexistants (troubles de la personnalité, troubles délirants, troubles anxieux, troubles de l’humeur), des troubles psychiatriques apparus secondairement aux consommations de produits (troubles anxieux, troubles de l’humeur surtout dépressifs récurrents, troubles délirants, troubles du comportement). La fréquence de la comorbidité psychiatrique chez les sujets addicts est considérée par tous les auteurs comme particulièrement élevée (de 70 à 90 % parmi ceux qui sont demandeurs de soins).
Les Troubles Mentaux
· Les troubles anxio-dépressifs :
Les troubles de l’humeur (dépression, anhédonie, sommeil, alimentation, dévalorisation, tristesse, violence, agressivité …), entre 30 et 70 % selon les études
· Troubles de l’usage et troubles bipolaires :
La dysthymie est un trouble de l’humeur, chronique et persistant, impliquant un spectre dépressif, elle est souvent la source de troubles de l’usage et constitue parfois une indication à un thymorégulateur.
· Les troubles délirants :
La rencontre entre produits et schizophrénie semble relativement fréquente, avec une inclination prononcée à l’automédication. Ce sont des personnalités présentant une perte de contact avec la réalité. Généralement, l’évolution de la consommation se fait sur un mode séquentiel.
· L’agressivité :
les troubles de la personnalité de type antisociale ou psychopathique (forte impulsivité et une intolérance à la frustration), ou de type schizophrénique ou paranoïaque, prise de substances (psychostimulants, alcool…), syndrome de stress post traumatique, épisode aigu d’angoisse, de panique, peuvent provoquer des comportements extrêmes, notamment lors d’une consommation abusive ou d’un état de manque.
· Les troubles de la personnalité :
Il n’existe pas de troubles de la personnalité spécifiques ou prédictifs de l’addiction. Cependant, un grand nombre de travaux s’accordent pour souligner le nombre important des troubles de la personnalité parmi les sujets dépendants aux substances psychoactives.
· La personnalité « antisociale » :
Ce trouble de la personnalité, est marqué par une impulsivité, une instabilité comportementale, une tendance aux passages à l’acte et des difficultés importantes de socialisation.
· Les états limites :
Ces personnalités appelées aussi « border-line », ont une forte tendance à l’angoisse et aux passages à l’acte. La dépression fait partie des modes de décompensation, ainsi que des affections psychosomatiques graves, des troubles de l’usage d’alcool et des troubles de type psychotique.
· Sevrage et trouble psychiatrique spécifique :
Le syndrome déficitaire post-sevrage est classiquement décrit comme un ralentissement et une perte d’élan vital pouvant aller jusqu’à des idées suicidaires. Il débute pendant le sevrage physique ou juste après et peut durer plusieurs semaines. C’est une cause fréquente de rechute.
· Les troubles du sommeil :
C’est l’une des plaintes les plus fréquentes. Ces troubles sont un facteur de surconsommations de psychotropes parfois à l’insu du médecin (médicaments, cannabis, alcool) et de rechutes, ou encore un symptôme de manque. Cela peut aussi être un signe d’appel d’une pathologie psychiatrique (dépression, troubles anxieux, états psychotiques…).
Les liens avec le tabac
La littérature scientifique a depuis longtemps fait le lien entre troubles mentaux et consommation de tabac. Ces études (1) (2) nous indiquent que le tabac est la substance la plus utilisée par les patients atteints d’affections psychiatriques ou ayant un trouble lié à l’usage de substances.. La prévalence serait 2 à 4 fois plus fréquente qu’en population générale et leurs consommations plus importantes.
Le taux de tabagisme est significativement plus élevé parmi les patients ayant déjà présenté un trouble psychiatrique au cours de leur vie (33,4%) et au cours de la dernière année (39%):
- 68,8% pour les bipolaires,
- 49,4% pour les psychotiques,
- 34 à 46% pour les troubles anxieux,
- 36% pour les dépressions.
- 67 à 87% de patients ayant un trouble lié à l’usage de substances,
- environ 85% pour les patients dépendants aux opiacés ou sous traitement de substitution
Les consommations sont aussi plus élevées (NESARC du NIH 2014) : 26,2 cigarettes/jour contre 22,6 cigarettes/jour pour les sujets sans antécédent psychiatrique. De même ils ont 2 à 4 fois plus de difficultés à arrêter de fumer. L’espérance de vie est réduite de 25 ans alors qu’elle est réduite de 10 ans chez des fumeurs sans troubles mentaux. Plus de la moitié des décès précoces sont imputables au tabac (maladie cardiovasculaire, respiratoire, cancer):
- 53% des patients schizophrènes
- 48% des patients bipolaires
- 50% des patients ayant présenté un épisode dépressif
Le sevrage tabagique
L’essai SCIMITAR + au Royaume Uni apporte de nombreuses informations sur le sevrage du tabac chez les personnes atteintes de maladie mentale grave dans la mesure où elles n’ont historiquement jamais fait appel aux services de sevrage tabagique.
Les taux d’arrêt du tabac à 12 mois des fumeurs atteints de maladie mentale grave étaient globalement similaires à ceux constatés dans la population générale. Il a été également constaté qu’il est peu probable que l’arrêt du tabac entraîne une détérioration de la santé mentale.
Mais il s’avère qu’à 6 mois les données sont encourageantes, les chances de succès de l’arrêt parmi ceux qui ont reçu un suivi de TCC étaient de plus du double, comparées à ceux qui ont reçu les soins habituels (TNS ou Bupropion/Varénicline). Une amélioration de la santé physique à court terme et une tendance à une diminution du nombre de cigarettes fumées par jour à 6 mois et une motivation accrue à arrêter à 12 mois ont également été constatées.
Une autre étude ciblant les interventions pharmacologiques pour l’abandon du tabac chez les personnes atteintes de schizophrénie a comparé l’efficacité des substituts nicotiniques, du bupropion et de le varénicline sur les 20 dernières années. Les trois traitements ont été jugés supérieurs au placebo. La varénicline était supérieure au bupropion, mais aucune différence significative n’a été trouvée entre la varénicline, le bupropion et les TNS.
La revue de littérature de Jennifer Wiley sur l’abandon du tabac auprès de personnes atteintes de maladie mentale chronique, rassemble de nombreux éléments. Les résultats indiquent que les traitements TNS, Bupropion, Varénicline ET le vaporisateur personnel de nicotine sont efficaces. Ils montrent aussi que c’est une priorité pour réduire les taux élevé de maladies et de mortalité dans cette population.
La plupart des études examinées portaient sur des patients stables inscrits et traités dans des programmes de santé comportementale, Il reste à déterminer si des effets similaires seront observés chez des patients moins stables et dans des contextes avec moins de contacts avec les patients.
Le cas du vaporisateur personnel
Le sixième rapport de 2020 du Public Health England (PHE): 17 études qui rapportaient la prévalence du vapotage chez les personnes souffrant de troubles mentaux en dehors du Royaume-Uni ont été identifiées (Lien). Les taux de vapotage variaient de 0,3% à 21% parmi les personnes souffrant de problèmes de santé mentale dans des échantillons de population représentatifs et de 7% à 45% en milieux cliniques.
Ces taux élevés de vapotage reflètent probablement la forte prévalence du tabagisme chez les personnes ayant des problèmes de santé mentale.
- 4 « études pré-post » dont les participants n’étaient pas motivés à arrêter ont été identifiées. L’abstinence totale de fumer a été obtenue par 7% à 14% des participants entre 4 semaines et 12 mois de suivi. Néanmoins les participants à l’étude qui ont vapoté ont considérablement réduit leur consommation de cigarettes.
- La littérature rare qui existe sur les connaissances et les attitudes des professionnels de la santé à propos du vapotage suggère que beaucoup sont ambivalents quant au rôle et à l’utilisation des produits de vapotage chez les fumeurs souffrant de problèmes de santé mentale. Cela suggère également qu’il existe des besoins de formation non satisfaits.
Le rapport du PHE cite aussi les travaux de Riccardo Polosa et ses collègues avec le vaporisateur personnel de nicotine (VPN) chez les patients atteints de schizophrénie qui n’avaient pas d’intention d’arrêter de fumer. (Lien)
- Une réduction de 50% du nombre de cig / jour à 12 mois chez la moitié des participants, passant de 30 à 15 cig/jour
- 14,3%ont cessé de fumer, les niveaux de CO ont été mesurés pour vérifier.
- Au final une réduction de 50% combinée et l’abstinence tabagique ont été montrées chez 64,3% participants, diminuant de 30 à 12 cig / jour
Démontrant pour la première fois que l’utilisation de la vape réduisait considérablement la consommation de cigarettes sans effets secondaires significatifs chez les patients schizophrènes chroniques qui fument sans avoir l’intention d’arrêter de fumer.
La nécessité d’un personnel soignant formé
La conférence de consensus d’experts de l’OFT en 2008 indique le manque de prise en charge du tabac en psychiatrie. Le personnel soignant en psychiatrie est plus souvent fumeur et les soignants fumeurs sous-estiment les conséquences sanitaires du tabagisme en banalisant davantage l’usage du tabac. Les fausses croyances qui entretiennent le défaut de prise en charge y ont été abordées, le tabagisme serait une automédication nécessaire, les patients ne souhaiteraient pas se sevrer, ne seraient pas en capacité de mener à bien un sevrage du tabac, arrêter le tabac interférerait et ne serait pas un axe prioritaire dans la prise en charge des patients présentant des affections psychiatriques.
La conclusion de la conférence est claire sur les constatations pour les patients comme pour le personnel soignant.
Concernant les patients :
- Les patients souffrant de troubles psychiatriques présentent des motivations pour se sevrer du tabac équivalentes à la population générale.
- Ils sont susceptibles d’y parvenir, sous couvert d’un accompagnement étayant.
- L’arrêt du tabac ne majore pas les troubles du comportement.
- L’arrêt du tabac est susceptible de favoriser une amélioration physique, économique et psychique de nos patients.
Concernant les soignants :
- La formation nécessaire des équipes de psychiatrie à la tabacologie.
- Sur quels lieux? À quel moment du parcours de soins?
- Cela implique, l’identification de soignants référents, formés, et en capacité d’intégrer ce type de prise en charge dans un parcours de soins tenant compte des vulnérabilités propres aux patients pris en charge en psychiatrie.
Comme indiqué en introduction de la conférence, « le tabagisme en psychiatrie est un problème qui concerne l’ensemble de la communauté soignante, à l’intersection entre soins somatiques et soins psychiques ».
Il est probable que des interactions avec les patients experts pourraient bénéficier à tous sur les innovations dans le domaine du sevrage tabagique en particulier avec le VPN. Un patient expert « vape » doit donc en plus des connaissances indispensables dans son parcours de validation des acquis concernant le tabac et le sevrage tabagique :
- connaitre et maitriser toutes les questions techniques relatives à la mise en œuvre du VPN,
- maitriser l’adaptation des dosages de nicotine
- savoir répondre aux questions sur les problématiques rencontrées par l’utilisateur débutant lors de l’utilisation du VPN